Tu vois les autres personnes rire et ne pas prêter attention à ton chagrin et ta solitude. L'alcool est là, elle t'ouvre les bras, tu le prends sans réfléchir, et tu en bois le plus possible, comme si, à part la mort, elle était la seule délivrance de ton malheur. Les effets sont immédiats, tu divagues, les couleurs deviennent irréelles, tout scintilles autour de toi, au moins, tu as l'impression d'être dans un rêve. Les images se coupent, rien n'est fluide. Tu as du mal à marcher droit, et tu ne peux t'empêcher de rire, sans savoir pourquoi. Du moins, tu ris, pour le moment.
Tous tes amis sont aussi ivres, mais ce n'est pas pareil que toi. Ils te regardent comme une étrangère. Même avec l'alcool, tu restes différentes, en particulier aux yeux des autres, tu le ressens d'autant plus. Jamais tu ne seras semblable à la masse des hommes, jamais tu n'auras leur vie, qui parait si heureuse et que tu voudrais tant. Pourquoi tu n'as pas le droit à cette chance ? Les gens pensent que tu as choisi d'être ainsi. Comme ils se trompent ! Tu es née de cette manière, sans le vouloir, tu es tombée dans cette spirale morbide, tes yeux sont différents des autres. Là où ils voient blanc, tu vois noir, là où ils entendent la vie, tu entends la mort.
Cette angoisse est si forte en toi que tu en as toujours mal au ventre, tu as peur des autres, peur de ce qu'ils pensent. Et même bourrée, tu te poses à nouveaux toutes ces questions. C'est là que du rire, tu passes aux larmes, tu ne peux garder fermée plus longtemps cette plaie qui doit respirer.
Tu hurles, personne ne t'entends, tout le monde s'en fiche. Tu t'arraches les cheveux, tes joues n'ont jamais étés aussi humide, tes yeux n'ont jamais été aussi rouges de rage. Comme tu regrettes tout ça, comme tu voudrais mourir !
Le dégoût s'empare de toi, et ce que tu redoutais tant arrive : tu vomis tout l'alcool que tu as avalée, tu espères dégueuler en même temps toute ta peine ; mais non, tu découvres qu'elle restera en toi éternellement.
Et tu n'arrives plus à tenir debout, tu t'effondres, à nouveaux en larme, sale, à même le sol, tu te sens si lourde, tu aimerais sombrer en Enfer.
Le lendemain, tu te réveilles, avec un vague souvenir de cette soirée. De toute manière, mieux vaut-il que tu ne t'en rappelle pas ; tu en souffrirais d'avantage. Malade toute la journée, tu penses que c'est à cause de ce que tu as bu, mais tu te trompes. Tu as toujours été malade, malade d'exister, malade de marcher, malade de respirer. Malade de vivre.
Tu t'allonges au bord de ton lit, et implore le firmament. Regarde ce que tu as en toi, de la souffrance, de l'amertume, du regret. Cesse de rêver, cesse de croire à un avenir, tu n'en auras jamais. Tu serres tes mains devant ton visage, et ferme les yeux.
Prie, prie tant que cela est possible, prie car c'est tout ce qu'il te reste...